Locke est-il l’inventeur des sense-data ?

Philippe Hamou  

(Amiens : colloque sense-data 13-14 décembre 2001)

 

I. Introduction

 

La question mérite une justification car elle peut susciter un double genre de réticences.

a) D’une part Locke n’utilise pas, bien évidemment l’expression, dont la sonorité vaguement scolastique lui aurait sans doute semblé désagréable. Interroger la doctrine d’un auteur avec des concepts qui ne sont pas les siens comporte un risque historiographique. Il y a certainement une part de naïveté historique dans la recherche des « précurseurs », il y a aussi souvent une source d’aveuglement : en posant à un auteur des questions qu’il ne se posait pas et dans un vocabulaire qui n’est pas le sien, on risque de ne plus comprendre ou ne plus voir celles qu’il se posait.

 

b) Plus fondamentalement, la question de « l’inventeur » des sense-data peut sembler factice pour autant que le terme, lorsqu’il fut introduit au début du siècle dans la langue philosophique par des auteurs comme Moore ou Price, n’était pas destiné à désigner un objet nouveau de l’analyse philosophique, mais plutôt un élément constamment présent dans toute la tradition philosophique et pourvu jusqu’alors de divers noms. Price est très clair sur ce point :

 

The term is meant to stand for something whose existence is indubitable (however fleeting), something from which all theories of perception ought to start, however much they may diverge later.

And I think that all past theories have in fact started with sense-data. The Ancients and the schoolmen called them sensible species. Locke and Berkeley called them ideas of sensation, Hume impressions, Kant Vorstellungen. In the nineteenth century they were usually known as sensations. (Perception, 2nd éd. Methuen London, p. 19)

 

Au début de son ouvrage Price présente donc le sense-datum comme l’un des éléments les plus basiques et les plus consensuels de l’analyse philosophique de la perception : il est ce dont on ne peut douter au sujet de notre perception sensorielle, ce qui lui est directement présent, sans processus inférentiel d’aucune sorte : le donné même de la sensation. C’est par exemple cette tâche sphéroïde et rouge qui apparaît dans mon champ visuel lorsque je vois une tomate. Quelque soit l’origine véritable de ce donné et la relation qu’il entretient avec les choses du monde extérieur, nous savons que nous l’avons et qu’il ne peut être autre que ce qu’il nous paraît être. C’est là ce qu’on pourrait appeler la définition minimaliste des sense-data. Ceux-ci sont des entités particulières qui se présentent à nous comme les objets directs d’un acte d’« acquaintance » que nous appelons conventionnellement sensation (sensing), et ce sont des hard data, des données incorrigibles, qui résistent à l’inspection critique de nos croyances.

Donc, lorsqu’on s’en tient à cette définition minimaliste, on se borne à décrire quelque chose que la plupart des philosophes, Locke mais aussi bien d’autres avant et après lui, visaient sous d’autres termes. L’avantage de l’introduction des « sense-data » aux yeux d’un auteur comme Price réside non dans la nouveauté de l’objet mais dans la « neutralité » de l’expression. Le mot est préférable par exemple au terme d’idée parce qu’il n’engage pas de thèse déterminée sur le caractère mental ou non de la chose. De fait :

 

« The admission that there are sense-data is not a very large one ; it commit us to very little » (Price, p. 18)

 

Par exemple parler de sense-data permet de laisser indéterminées un certain nombre de questions sur lesquelles l’analyste de la perception ne doit pas se prononcer trop tôt : on n’a pas à savoir si le sense-datum est mental ou physique, s’il est différent pour chacun ou commun à tous, s’il persiste lorsqu’il est non senti (c’est-à-dire s’il est réifiable), on ne dit rien sur son origine, etc.

 

c) Si tel est bien l’avantage du terme, on pourrait penser que Locke avait en quelque sorte anticipé sur cette neutralité ou cette a-topicité dans l’ usage volontairement vague qu’il fait du terme « idée » (« tout ce dont l’esprit s’occupe lorsqu’il pense »[1]) et sa volonté maintes fois affirmée de ne pas chercher à débrouiller en « physicien » la question de l’origine et de la nature des idées[2]. Dans ce désengagement volontaire, qui permet de définir un espace propre pour l’enquête descriptive et phénoménale, il y a quelque chose de certainement très moderne, où les empiristes contemporains se sont reconnus.

Il faut noter cependant, et c’est un point qui a souvent été souligné par les critiques de Locke, que le terme d’idée a dans l’Essai une extension beaucoup plus large que la notion moderne de sense-data, si large de fait qu’il en devient équivoque. Le terme recouvre en effet indistinctement contenus perceptuels (les sense-data) et contenus de signification (les concepts), deux choses que la philosophie analytique contemporaine s’est efforcé de distinguer avec le plus grand soin[3]. Locke pour sa part ne semble pas éprouver le besoin de distinguer ces deux sortes d’idées d’une manière sémantiquement rigoureuse. Le plus souvent il parle de ce qui est reçu dans la sensation actuelle comme s’il s’agissait déjà de contenus abstraits de signification : la blancheur, la saveur, la solidité… Beaucoup plus centrale pour son propos est la distinction qu’il fait entre les idées simples et les idées complexes. Or cette distinction qui structure tout le livre II consacré à l’analyse génétique et critique de nos idées, n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser spontanément une distinction entre d’un côté le pur donné ou datum sensoriel et de l’autre le pur construit. Le croire est s’exposer à de graves déconvenues qui ont bien été soulignées par Parmentier dans son ouvrage sur Locke.

 Les idées simples sont le plus souvent, pour ne pas dire toujours, dégagées à partir de l’analyse de nos expériences. Dans l’expérience concrète, historique, que nous avons du monde, elles ne nous sont pas délivrées dans leur simplicité première, mais toujours mêlées en collection qui correspondent aux collections de qualités intimement unies et mêlées dans les individus concrets : telle couleur associée à telle étendue, telle forme, telle odeur etc. Cela signifie que le datum lockien au sens phénoménologique strict appartient au genre des idées complexes, il correspond à celles qui ont une occurrence naturelle, en tant qu’elles se présentent comme collection d’idées simples « allant naturellement ensemble ». Que Locke n’ait pas même de mot spécifique pour désigner ce type d’idées complexes – qu’il faudrait pourtant pouvoir distinguer de celles qui sont artificiellement construites (ou reconstruites) par l’esprit – est un indice assez préoccupant pour qui recherche en Locke un précurseur des sense-data. Le fondationnalisme lockien ne s’appuie pas tant sur l’irréductibilité ou l’incorrigibilité du donné que sur l’indécomposabilité du simple.

 

Jusque là pour l’exposé des réticences. Si la question que je pose ici conserve néanmoins à mes yeux une légitimité, y compris une légitimité historique, c’est parce qu’elle a été élue, me semble-t-il, comme l’une des questions phares du commentaire lockien dans le cours du XXe siècle. Il n’y a peut-être pas lieu de s’en étonner car le commentaire lockien, pour le meilleur et pour le pire fut essentiellement l’affaire d’auteurs anglo-saxons nourri par la tradition analytique. Il est néanmoins assez remarquable que sur cette question on pourra voir se dessiner une histoire des interprétations de Locke, qui, dans ses ruptures, et jusque dans ses remords, épouse de très près les vicissitudes de la philosophie analytique du XXe siècle dans son rapport aux sense-data : adhésion d’abord, puis critique et refoulement, enfin peut-être plus récemment, retour prudent.

Avant de présenter ces différentes phases de l’historiographie lockienne, il me faut d’abord dire que la « neutralité » revendiquée par Price pour le terme de sense-data est en partie factice. De facto, l’expression était appelée à recouvrir une doctrine beaucoup plus déterminée que celle qui est impliquée dans la seule définition minimaliste, et cela bien sûr y compris chez Price. Cette doctrine est sans doute susceptible de varier d’un auteur à l’autre ou d’être présentée de manière plus ou moins caricaturale par ceux qui entendent la critiquer, mais il y eut bien me semble-t-il, historiquement, un noyau dur. D’une manière sans doute quelque peu arbitraire, j’énoncera ici quelques thèses dont je pense qu’elles sont généralement reconnues par les tenants des sense-data et qui doivent s’ajouter à la définition première minimale (celle qui nous dit seulement que les sense-data sont l’objet direct et incorrigible de la conscience perceptive)[4]:

1. Les sense-data ne sont pas physiques

2. Leur occurrence est logiquement privée (l’affaire d’un sujet singulier, dans le « théâtre » intérieur de sa conscience)

3. Ils possèdent réellement les qualités sensibles ordinaires (comme par exemple formes et couleurs) et peuvent être ainsi conçus, s’agissant des data-visuels, comme des tâches colorées (colored patches selon l’expression de Moore).

4. Les sense-data imposent de penser la sensation selon la structure acte-objet, et ils constituent le pôle objet de cette structure. Ils sont donc distincts de l’acte par lequel nous prenons conscience d’eux. Ce ne sont pas par eux-mêmes des actes de visée (des actes intentionnels), bien que l’habitude ou l’inférence puisse leur prêter une valeur de signe représentatif. Ils ne peuvent pas non plus être traités comme des modalités « adverbiales » de l’acte de conscience perceptive (des manières de sentir), et par là, ils se distinguent des « sentiments » ou des vécus (erlebnis) tels la douleur ou le plaisir.

5. Il existe plusieurs arguments (nommément l’analyse causale de la perception et l’argument de l’illusion) qui permettent d’établir que les sense-data ne peuvent être identifiés aux objets du monde extérieur auxquels ils nous semblent donner accès. Ces arguments peuvent conduire soit à ce qu’on appelle une théorie représentative de la perception (ie. Il existe réellement de tels objets instanciés dans des substances matérielles, mais nous n’y accédons que médiatement, à travers nos data) soit au phénoménalisme (les objets extérieurs ne sont rien d’autre que la collection des sense-data réels ou possibles).

 

II. Le débat historiographique

 

a. L’interprétation traditionnelle. Aaron

 

 L’historiographie lockienne a longtemps considéré que Locke était le représentant prototypique sinon l’inventeur de la doctrine déterminée des sense-data dans sa version représentationnaliste.  Cette thèse est implicite par exemple chez Aaron dans son Locke de 1932, un ouvrage classique et très influent. Aaron caractérise le « new way of ideas » lockien comme la conjonction de deux thèses qui, prises séparément ne sont pas nécessairement originales : la thèse adoptée, écrit-il « faute de mieux », du caractère représentationnel de la perception sensorielle ; la thèse empiriste selon laquelle toutes nos idées résultent d’une donation sensible.

La première de ces thèses, Aaron estime que Locke l’adopte a défaut d’une meilleure, parce qu’elle est lui est en quelque sorte imposée par le paradigme causal et mécaniste qui imprègne depuis Descartes et Boyle la description scientifique de la perception sensible. Aaron ne détaille pas l’argument, mais on peut ici en tenter une réexposition: dans la perspective réaliste qui est celle de la science de l’époque, il existe des substances matérielles à distance de nous et qui ne peuvent être perçues que si elles produisent, en vertu d’une causalité mécanique, des impressions sensibles sur nos organes.

 

« The next thing to be consider’d, is how Bodies produce Ideas in us, and that is manifestly by impulse, the only way which we can conceive Bodies operate in ». Locke, Essay, II, 8, 11

 

Ce qui opère ici est un schème présentiste : une chose ne peut agir sur une autre que si elle lui est coprésente. La perception obéit à cette règle : elle ne peut se faire à distance mais requiert que quelque chose advienne au corps du percevant. Dans une version naïve du représentationalisme, ce qui arrive au percevant c’est une image physique à l’exacte effigie du sensible et le représentant par ressemblance. Si Locke utilise parfois le vocabulaire du tableau pour parler des idées, il ne le fait que métaphoriquement et il est parfaitement conscient de l’impasse du représentationalisme naïf. Il sait comme descartes que nos impressions corporelles ne ressemblent pas en tout aux objets qui les causent et surtout il n’identifie pas les idées à ces impressions. A cet égard, Locke reprend quasi littéralement la thèse cartésienne de l’institution de nature : il faut supposer qu’aux diverses impressions cérébrales Dieu a « annexées » des idées, en vertu d’une corrélation immédiate qui certes nous est incompréhensible mais qui peut néanmoins être dite nomologique : une même impression suscite toujours une même idée. Ces idées sont donc les effets terminaux d’un processus causal, et comme telles elles sont logiquement distinctes de leur cause. (cf. II, 8 passim et Examen de Malebranche). La chose ressort particulièrement nettement s’agissant des idées de qualités secondes, dont Locke peut dire qu’elles sont entièrement dissemblables des qualités des objets qui les ont produites. Une telle analyse suggère donc fortement que notre accès aux choses est médiatisé par les idées que nous en avons. Il arrive d’ailleurs à Locke de le dire littéralement :

 

« ’Tis evident, the Mind knows not Things immediately, but only by the intervention of the Ideas it has of them » IV, 4, 3

L’argument causal développé par Locke n’acquiert toutefois sa pleine force que si on peut lui adjoindre un second argument, traditionnellement désigné par les tenants des sense-data comme argument de l’illusion. Après tout l’idée qui naît de l’impression corporelle est bien distincte de celle-ci et pourrait donc encore être conçue comme un acte de saisie immédiate de l’objet distal. C’est la raison pour laquelle il convient de montrer qu’il n’y a rien dans l’idée annexée aux impressions qui permette d’en identifier la provenance distale d’une manière univoque[5]. De fait une même impression, et donc une même idée, peut être causée par deux causes mécaniques distinctes, comme en attestent les cas d’illusion ou d’hallucinations, ou même le simple effet des images perspectives.

Il est assez notable que Locke ne soit pas enclin dans son ouvrage à développer l’argument de l’illusion. Je ne crois pas par exemple qu’on trouve dans son texte l’argument, mentionné par Aaron dans son commentaire, selon lequel la Lune nous apparait comme un « patch lumineux » de la grandeur d’un florin : cette grandeur explique Aaron ne peut être assignée ni à la Lune que nous savons plus grande, ni aux effets rétiniens de la Lune que nous savons plus petits, et doit donc appartenir à un objet de conscience spécifique (un sense-datum). Locke sollicite peu les phénomènes d’illusions sensorielles, et cela me semble-t-il en raison de leur charge sceptique. Locke a peu de patience pour tout argument qui aurait pour conséquence de déréaliser le monde extérieur. (cf. IV, 11). C’est un point important sur lequel nous aurons l’occasion de revenir. Disons ici seulement que les raisons pour lesquelles Locke développe l’argument causal tiennent moins dans sa volonté d’établir que les idées sont des sense-data, que dans son désir de trouver une explication de la genèse des idées qui permette de manière plausible de maintenir la postulation réaliste de la physique, postulation que l’argument de l’illusion, mobilisé pour renforcer la thèse des sense-data, risquerait lui de menacer gravement.

Le second élément du « new ways of ideas » mentionné par Aaron est l’élément empiriste. Si la thèse représentationaliste est en un certain sens commune au XVIIe siècle, partagée par tous ceux, et ils sont nombreux, qui acceptent les termes de l’explication cartésienne des sens qu’on trouve dans la Dioptrique, la thèse empiriste ajoute quelque chose d’important que Descartes par exemple n’aurait pas admis. Locke affirme constamment dans l’Essai que nos idées de sensation sont bien de l’ordre du pur donné, qu’il n’y a rien en elles que nous serions capables de trouver dans notre esprit avant l’expérience. L’esprit est entièrement passif dans la sensation, il n’a pas le pouvoir de refuser ou altérer les idées qu’il reçoit, et il lui est aussi impossible de se donner à lui-même une nouvelle idée, qu’il est impossible à l’homme de créer un nouvel atome de matière. Je crois qu’il faut entendre cette thèse au sens fort : l’esprit est une table rase et il ne possède avant l’expérience aucune des idées qu’il aura, pas même virtuellement. Un Descartes ou un Leibniz diraient simplement que nos idées sensorielles (comme par exemple celles que nous avons des couleurs) sont innées quoiqu’elles exigent pour être perçues à titre de circonstances occasionnelles une opération sensible et des organes bien disposées[6]. Locke pour sa part n’hésite pas à employer un vocabulaire franchement intromissiste pour expliquer la manière dont les idées sont en nous : les idées sont « convoyés » (convey) par les objets extérieurs, elles entrent dans notre entendement par ces « orifices » ou petites fenêtres que sont nos cinq sens, etc. Un texte célèbre à cet égard est le final du chapitre XII du livre II :

 

« I pretend not to teach but to enquire ; and therefore cannot but confess here again, That external and Internal Sensation, are the only passages that I can find, of Knowledge, to the Understanding. These alone as far as I can discover, are the Windows by which light is let into a dark Room. For, methinks, the Understanding is not much unlike a Closet wholly shut from light, with only some little openings left, to let in external visible Resemblances or Ideas, of things without ; would the Pictures coming into such a dark Room but stay there, and stay orderly as to be found upon occasion, it would very much resemble the Understanding of a Man, in reference to all Objects of sight, and the Ideas of them » II, 11,17

 

 Leibniz a beau jeu de faire remarquer que ce vocabulaire des portes et des fenêtres aura tôt fait de rendre l’âme matérielle (Nouveaux Essais, préface et II, 1). Mais c’est une objection qui ne fait pas peur à Locke. D’une part parce qu’il lui arrivera de considérer sérieusement la possibilité que l’âme soit matérielle, et d’autre part parce qu’il estime que l’éventuelle inintelligibilité métaphysique du processus n’ôte rien à l’évidence de ses manifestations. Cf. Examen de Malebranche :

 

Il est clair en tout cas que la thèse de l’origine empirique des idées, le fait qu’elles soient « des productions naturelles et régulières des choses existants hors de nous » milite fortement en faveur de leur réification ou tout au moins de leur traitement comme « objet » plutôt que comme acte de l’esprit ou modalité de cet acte.

Au terme de cette première description Locke apparaît effectivement comme un initiateur, dont la principale originalité est de conjoindre empirisme et représentationalisme. De l’empirisme aristotélicien il retiendrait une certaine perméabilité de notre esprit aux affections du monde, qui l’autorise à conserver parfois le vocabulaire de l’espèce. Mais il rejetterait son réalisme direct, cette idée selon laquelle ce serait la forme même du sensible qui s’instancierait dans la conscience perceptive ; de l’idéisme cartésien, il reprendrait la thèse centrale du caractère médiat de nos idées, tout en rejetant l’innéisme et l’appareil métaphysique qui l’accompagne. Première conjonction historique notable de ces deux faces traditionnelles de la théorie de la perception, le « new ways of ideas » lockien apparaît de fait au terme de cette présentation comme un précurseur historique parfaitement plausible pour la doctrine des sense-data, dans sa version représentative.

Le fait que cette lecture de Locke se soit imposée de manière massive s’atteste aussi dans la nature des critiques qu’on adresse traditionnellement à l’auteur de l’Essai sur l’Entendement Humain. La principale d’entre elles est l’idée que Locke a, à son insu, légué à sa postérité le thème sceptique du « voile des perceptions ». Dans le schème représentatif, le réalisme auquel Locke tient tant devient en effet indéfendable : les idées se sont définitivement interposées entre notre conscience et les choses extérieures, et puisqu’on les considère comme des « choses » des entités réelles, rien n’interdit de penser qu’elles soient assez opaques pour occulter à jamais la vraie nature du monde extérieur. D’autres critiques typiques ont été couramment avancés contre la théorie représentative lockienne : celle-ci semble faire usage du verbe percevoir en deux sens, celui qui s’applique aux idées et celui qui s’applique aux choses extérieures, sans justifier cette distinction et sans montrer pourquoi le premier sens, s’il est déterminable, ne peut s’appliquer directement aux choses du monde. La doctrine rend incompréhensible le fait que nous pouvons avoir sur nos idées un langage commun, alors qu’il s’agit semble-t-il d’entités privées, inacessibles aux autres. La doctrine ne nous fait pas bien comprendre le lien entre chose et idée dans la représentation, si l’idée est un être mental comment pourrait-elle ressembler aux qualités premières qui l’on produite comme le prétend Locke ? et faut-il dire que nos idées sont rouges, rondes, odorantes ? On pourrait ainsi continuer longtemps. Le stock des objections au représentationalisme lockien est fourni car, on pourrait le montrer facilement, il s’alimente à la source quasi inépuisable des critiques contemporaines formulées depuis l’époque de Ryle contre la doctrine des sense-data.

 

c. La lecture intentionnaliste. Yolton , Alexander

 

Depuis le début des années 70, certainement en réaction contre ces attaques et contre l’espèce de discrédit qu’elles jetaient sur la valeur philosophique de l’Essai, s’est développé une toute autre ligne d’interprétation de la doctrine lockienne des idées. Locke ne serait pas l’inventeur des sense-data mais tout au contraire aurait développée une interprétation intentionnaliste de l’idée, beaucoup plus proche de ce qu’on appelle aujourd’hui le « réalisme direct ». L’auteur qui a développé cette thèse de la manière la plus systématique et radicale est l’américain John Yolton, et cela dans différents ouvrages Locke and the Compass of Humain Understanding (1970), Perceptual Acquaintance from Descartes to Reid (où il étend ses remarques à d’autres auteurs de la tradition, et particulièrement à Descartes) ; ou encore dans son tout récent A Locke Dictionnary (art. Ideas). On trouve des variantes plus récentes par exemple dans le bel ouvrage de Peter Alexander (Ideas, Qualities and Corpuscules) ou encore dans le petit livre de Lowe (Locke) qui propose une interprétation adverbialiste de la doctrine lockienne des idées.

Je me contenterai ici de présenter l’interprétation de Yolton en l’appuyant de quelques remarques fournies par Alexander. Selon Yolton, il n’existe pas dans l’Essai d’élément textuel non équivoque qui attesterait que Locke ait voulu faire de l’idée une sorte d’entité spéciale, un sense-datum, comme le voudrait l’interprétation traditionnelle. En revanche, Locke utilise souvent, comme synonyme d’idée, les termes de « perception » ou d’apparence[7]. Yolton estime que ce sont là les sens propres et exclusifs du terme lockien d’idée, lequel désigne tour à tour et selon les contextes d’usage l’objet extérieur lui-même dans son apparaître, et l’acte de perception de cet objet. Il n’y a donc pas de troisième terme, d’entité intermédiaire. L’idée se résout dans le seul fait « d’avoir une idée », c’est à dire dans le fait de percevoir un objet selon certaines conditions spécifiques qui déterminent la spécificité de son apparaître. Yolton estime que Locke suit en cela l’interprétation de l’idée qu’Arnauld défendait contre Malebranche :  l’idée n’est pas un être médiat représentatif, elle n’est pas autre chose que l’acte de perception, et si on tend souvent à la concevoir comme un objet c’est parce cet acte vise l’objet extérieur et rend celui-ci en quelque sorte présent à l’esprit, selon le mode d’être intentionel qui est celui de la « réalité objective ». Yolton s’appuie notamment sur un passage (en vérité assez équivoque) de l’épître au lecteur où l’expression de présence objective est utilisée pour désigner l’idée déterminée  :

 

By those denominations, I mean some object in the mind, and consequently determined,, i.e. such as it is there seen and perceived to be. This I think may fitly be called a determinate or determin’d Idea, when such as it is at any time objectively in the Mind, and so determined there, it is annex’d and without variation determined to a name or articulate sound… (Epistle to the reader)

 

Yolton rend compte de tous les passages où Locke distingue l’idée du fait d’avoir une idée ou de l’acte de perception en s’appuyant sur le fait déjà souligné par Arnauld que le même acte de perception peut être considéré sous deux rapports :

 

« la perception d’un carré marque plus directement mon âme comme apercevant un carré, et l’idée de carré marque plus directement le carré en tant qu’il est objectivement dans mon esprit. Cette remarque est très importante pour résoudre beaucoup de difficultés qui ne sont fondées que sur ce qu’on ne comprend pas assez que ce ne sont point deux entités différentes, mais une même modification de notre âme qui enferme essentiellement ces deux rapports, puisque je ne peux avoir de perception qui ne soit tout ensemble la perception de mon esprit comme apercevant et la perception de quelque chose comme aperçue » (Vraies et Fausses Idées, chap. V, déf. 6).

 

Yolton est convaincu que l’interprétation arnaldienne est conforme à l’esprit véritable de la doctrine cartésienne, et il est également convaincu que Locke, qui connaît bien la polémique entre Arnauld et Malebranche et a critiqué la doctrine malebranchiste de la vision en Dieu, est fondamentalement sur cette même ligne. Cette ligne n’est au fond que la ligne scolastique de la présence « intentionnelle », réinterprétée en termes modernes. Dans l’acte de perception, quelle qu’en soit ses modalités physiques, l’esprit ‘capture’ quelque chose de l’objet, et celui-ci a en quelque sorte une double présence, l’une ontique dans le monde extérieur, l’autre cognitive (ou, dans les termes de l’époque) objective, dans l’esprit de celui qui perçoit.

Alexander, sans parler de réalisme direct, semble très proche de la thèse de Yolton. Lui aussi estime que les idées sont les « looks ou appearences » des choses. Il signale que si le terme idea est toujours en italiques dans l’Essai, c’est parce que Locke y entend encore le terme grec étranger : l’idée c’est l’eidos, la forme ou l’apparence des objets, que les latins ont traduit par species. Le terme se réfère donc à quelque chose d’externe à l’esprit et si Locke ne cesse de dire que l’idée est in the mind, cela doit s’entendre  métaphoriquement, le mind n’ayant pas de localité, in the mind veut dire seulement mind dependant : le propre des idées comme celui des apparences, c’est d’être à la fois mind dependant (chaque apparaître est spécifié par le point de vue) et localisé dans l’espace (la distance du rouge que je perçois est partie prenante de la perception de ce rouge).

 

Pour Yolton comme pour Alexander, cette rectification de l’interprétation traditionnelle de l’idée lockienne a pour principal mérite de restituer une cohérence au propos de Locke et notamment elle permet de résoudre un certain nombre d’énigmes (ou puzzles) que le lecteur de l’Essai qui lit idée comme synonyme de sense-data ne pourrait manquer de rencontrer.

L’interprétation traditionnelle rend très mystérieuse par exemple la thèse selon laquelle nos idées de qualités premières sont des ressemblances des choses extérieures, ou encore les nombreux passages où Locke semble dire que les idées sont « visibles ». Comment prêter à quelque chose de mental et donc de non-spatial une visibilité et qui plus est une ressemblance avec les qualités premières (spatiales) des corps ? Si l’idée n’est rien d’autre que la silhouette présentée par la chose lorsqu’elle est vue sous certaines conditions, il devient possible de parler de ressemblance entre idées et objets extérieurs, exactement comme l’on peut dire qu’une projection perspective ressemble à son géométral.  Une autre énigme est l’espèce d’indétermination du vocabulaire lockien des idées et qualités. Locke propose de distinguer ces notions, mais il le fait dans un texte qui est lui même complétement indéterminé syntaxiquement (II, 8, 8), il reconnaît d’ailleurs dans ce même texte qu’il parlera parfois des idées comme si elles étaient dans les choses elles-mêmes et demande à son lecteur de faire dans ce cas là lui-même la rectification. Cette espèce de tolérance sémantique s’explique là encore bien mieux si le fait de dire idées pour qualités relève de la métonymie (on désigne la même chose, mais on la nomme seulement par un de ses aspect) plutôt qu’une métaphore (on met une chose à la place d’une autre, et on prend l’effet pour la cause). Une autre énigme vient de ce que Locke, dans son explication du langage et de la communication affirme assez nettement que nous pouvons utiliser des mots pour des idées simples de sensation de telle manière que les autres personnes puisse les comprendre : ces mots « stand for the same ideas »[8]. Là encore, si l’idée appartient au propre théâtre privé de chacun, comment cela est-il possible ? Et de nouveau, le traitement de l’idée comme objet intentionnel permet de lui donner une « publicité minimale » selon l’expression d’Alexander : l’idée est dans un espace commun, et l’on peut indiquer aux autres ses environs... Last but not least : Locke ne s’est jamais senti concerné par le problème sceptique de la réalité du monde extérieur, problème auquel tout représentationnaliste conséquent  doit s’affronter (pensons par exemple à Leibniz et Malebranche, qui eux affirment de manière non équivoque que l’idée est un objet de conscience distinct de l’acte d’appréhension). Or la question du « voile des idées » n’est jamais soulevée par Locke. En revanche celui-ci dit de la manière la plus nette que la « connaissance sensitive », celle par laquelle nous rapportons les idées sensibles actuelles à une existence présente et les distinguopns des chimères de l’imagination, mérite pleinement son nom de connaissance (cf. IV, 9, 2) Ceci pour Locke veut dire qu’elle est certaine, et donc qu’elle ne relève pas du jugement ou de la probabilité. Elle ne reçoit pas seulement une garantie apportée par des faits extrinsèques aux choses considérées (par la cohérence des phénomènes, ou le consensus des percevants), mais c’est l’idée actuelle elle-même qui livre l’existence des choses intrinsèquement et nous donne l’assurance. « Je demande à quelqu’un s’il n’est pas invinciblement convaincu en lui même qu’il a une différente perception, lorsque de jour il vient à regarder le soleil, et que de nuit il pense à cet astre » IV, 2, 14 : Locke affirme clairement semble-t-il que l’assignation d’existence extérieure est contenue de manière intrinsèque dans l’idée (la perception).

 

c. Le retour du balancier : l’interprétation d’Ayers.

 

L’interprétation de Yolton et d’Alexander  est très séduisante et elle émane d’auteurs qui manifestement aiment Locke et cherchent à lui faire dire des choses sensées. Elle se heurte pourtant à de sévères objections. Certaines sont textuelles : ainsi, il serait assez paradoxal de faire de Locke un tenant du réalisme direct d’importation aristotélicienne, lui qui raille chez John Sergeant la doctrine étrange selon laquelle, lorsqu’à Londres, nous pensons à la cathédrale de Worcester celle-ci, en personne, serait dans notre esprit. De même, il ressort clairement, lorsqu’on lit l’Examen de Malebranche, que Locke, en critiquant la vision en Dieu ne penche pas pour autant du côté d’Arnauld, mais il semble plutôt que le débat porte sur deux manières de localiser ces êtres représentatifs que sont nos idées, en Dieu ou dans nos esprits.

Toutefois l’objection de fond à l’argument intentionnaliste est la suivante : ce qui peut éventuellement valoir pour les universaux, les concepts, est-il transposable aux êtres particuliers qui nous sont donnés dans la perception sensible ? Lorsque Descartes évoque la présence intentionnelle des objets dans l’esprit, ou si l’on préfère la réalité objective de l’idée, il peut reprendre le vocabulaire scolastique parce les idées dont il nous parle sont des concepts, des idées claires et distinctes touchant l’essence des choses, et que le propre d’un concept est de nous livrer sa signification, son objet, de manière transparente, et pour ainsi dire en personne. Si une telle mise à disposition ne se fait pas dans le cas des idées sensorielles comme celle que nous avons de la couleur, c’est parce que, chez Descartes, ces idées sont irrémédiablement obscures et confuses et ne nous permettent pas d’appréhender conceptuellement la réalité objective qu’elles contiennent de droit. Locke, à l’inverse de Descartes, adopte pour paradigme de l’idée claire et distincte, non pas le concept abstrait (l’idée d’étendue par exemple) qui chez lui est toujours dérivatif mais l’idée sensorielle que nous avons de qualités particulières, instanciées dans des substances particulières. Or autant peut-on trouver des arguments pour dire qu’un ‘universel’, une essence, ou comme dit Descartes une ‘nature simple’ est cognitivement présent à l’esprit, autant cela semble périlleux pour un être particulier, dont le propre est d’être précisément assigné à une localité déterminée ou si l’on veut à une matière. Que Locke soit convaincu qu’il s’agisse là d’une condition essentielle des être particuliers qui nous sont « donnés » dans la perception ressort clairement de son traitement de l’identité physique qu’il définit comme le fait pour une chose de ne pas pouvoir être au même moment en deux lieux différents.On ne voit pas dans ces conditions comment on peut échapper à la thèse selon laquelle les idées sont des objets distincts des choses qu’elles représentent, et en quelque façon cela implique de revenir aux sense-data.

A bien des égards c’est ce que propose de faire Michael Ayers dans son Locke. S’appuyant sur les dernières lignes de l’essai, il propose de décrire les idées comme des signes naturels. Ceci, je crois, veut dire deux choses. D’une part les idées sont des naturalia et il faut revenir à la thèse ancienne selon laquelle elles sont bien des objets à part entière, distincts des choses. Elles sont très exactement les effets « aveugles » que les choses impriment dans nos esprit. Ces effets sont « blank », en d’autres termes ils ne visent pas, ne sont pas des actes intentionnels mais bien des choses naturelles, possédant l’inertie, la localité de celles-ci. Mais d’autre part ces effets sont des signes, ils représentent leur cause. Il y aurait deux manières d’établir chez Locke ce caractère représentatif des idées. D’une part par l’analyse causale développée en II, 8.  Mais Ayers, le concède, du point de vue de Locke, cette analyse n’est qu’une hypothèse, qui se recommande par sa haute intelligibilité mais qui ne peut s’établir par la plain historical method, celle qui procède de la seule considération des idées, et que Locke considère comme la seule méthode légitime de son enquête. C’est l’analyse causale et elle seule qui établit notamment que nos idées de qualités premières sont des ressemblances, et donc cette thèse en elle-même reste quelque chose de périphérique chez Locke, de l’ordre du postulat vraisemblable. Il existe toutefois une seconde manière, plus rigoureuse, d’établir le caractère représentatif des idées : celui-ci se tire du seul fait brutal de l’empirisme. Les idées sensorielle sont vécues comme données, elles sont des data :nous ne les tirons en aucune façon de nous mêmes, et donc nous pouvons être certains que nous les recevons du monde. Or cela seul suffit à désigner ce monde, et à le désigner comme réel, ce qui en passant évacue toute tentation idéaliste. Les idées dans leur diversité sont autant de marques de distinction de ce monde, et ces marques suffisent pour nous orienter dans notre action : 

 

« l’esprit ne saurait en aucune manière se les former lui-même, il faut nécessairement qu’elles soient produites par les choses qui agissent naturellement sur l’esprit et font naître les perceptions auxquelles elles sont appropriées par la sagesse et volonté de celui qui nous a fait » IV, 4, 4

 

 

On comprend l’insistance de Locke dans les derniers chapitre du livre II et dans tout le livre IV sur le thème de la réalité, la conformité ou la complétude de nos idées simples de sensation. A chaque fois, Locke redit que nos idées sont produites par autre chose que nous, et il estime que ce fait même seul suffit à justifier leur réalité et leur conformité au monde. Les idées sont en effet exactement conformes à « la puissance qui est dans les choses de les produire ». Elles représentent parfaitement leurs originaux (qui n’est rien d’autre que cette puissance, telle que Dieu l’a mise dans les choses). Et cela parce que nous pouvons toujours être sûr, lorsque nous recevons une idée simple ou une collection d’idées simples qu’il y a hors de nous quelque chose qui a exactement la puissance de les produire. Au reste même si nous confondons parfois nos idées avec ces puissances, Locke explique qu’il n’y a pas lieu de taxer nos idées de fausseté parce que les idées nous ont précisément été données pour nous aider à distinguer les choses et qu’une saisie directe des causes sous jacentes aux puissances en question n’accomplirait pas mieux cette tâche et même l’accomplirait sans doute moins bien. II, 32, 14

 

 

III. Essai d'interpétation : l'indétermination métaphysique de l'Essai

 

Quelle attitude adopter devant ce conflit d’interprétation, où chaque partie semble avoir des arguments textuels et systématiques assez forts ? Une manière de faire serait d'adopter une position déflationniste et dire que ce conflit n'est qu'un effet de nos lectures récurrentes, et que Locke ne serait tout simplement pas "alive to the problem". Que Locke n'ait pas posé la question des sense-data dans les termes où nous la posons est sans doute vrai, mais spéculativement cette solution nous laisse un peu sur notre faim et donne le sentiment qu'il y a au fond une sorte d'incohérence de l'Essai, inaperçue par l'auteur. Ma propre idiosyncrasie est de penser que les grands auteurs classiques sont grands précisément parcequ'ils nous aident à penser jusqu'aux problèmes qu'ils ne se posaient pas. L'hypothèse que j'aimerais suggérer ici est que le conflit interprétatif tient à une indétermination ménagée par Locke lui-même et qui vient de la possibilité de lire son texte selon deux éclairages métaphysiques distincts : le premier est crypto-cartésien : la perception est l'interaction de deux substances de nature hétérogènes, l'une matérielle, l'autre immatérielle ; l'autre est crypto-matérialiste : il n'y a qu'un seul type de substance créée, la substance matérielle, et la perception doit se penser comme un événement modal, ou une propriétée annexée ou surajoutée à certains amas de matière qui se trouvent dans une certaine relation configurationnelle avec d'autres amas de matière.

 Locke écrit dans l’Avant-Propos qu’il ne s’engagera « point à considérer en physicien la nature de l’âme ; à voir ce qui en constitue l’essence, quels mouvements doivent s’exciter dans nos esprits animaux, ou quels changements doivent arriver dans le corps, pour produire à la faveur de nos organes certaines sensations ou certaines idées dans notre entendement ; et si quelques unes de ces idées ou même toutes dépendent dans leur principe de la matière ou non »[9]. Il admet que ces spéculations peuvent être curieuses et instructives mais qu’elles n’entrent pas dans son projet méthodique (celui de la plain historical method). Il me semble néanmoins qu’en dépit de ce rejet initial, Locke n’est pas totalement agnostique sur ces questions, et en plusieurs endroits de l’Essai, il laisse percevoir sinon une position déterminée du moins une forte inclination en faveur d’une certaine interprétation métaphysique de l’âme et de ses idées. La prétérition initiale en signalait déjà la teneur : les idées sont peut-être dans leur principe même dépendantes de la matière : en d’autres terme, la substance qui les a est peut-être une substance matérielle. A plusieurs reprises dans les livre III et IV Locke suggère que nous ne pouvons pas savoir si l’âme est matérielle ou immatérielle. Certes, il présente cela comme une illustration typique de la faible portée de nos connaissances, mais l’insistance sur cet exemple, et les arguments avancés en faveur de l’interprétation matérialiste sont en eux-mêmes déjà des signes que Locke penche positivement de ce côté. Si tel n’était pas le cas on voit mal pourquoi il aurait pris le risque de s’engager sur un terrain théologiquement aussi glissant.

Dans le principal passage où Locke développe ces considérations IV, 3, il s’appuie sur la description de l’idée nominale que nous avons des corps ordinaires, les substances matérielles macroscopiques qui meublent notre monde : nous leur prêtons des qualités (l’étendue, la solidité, le mouvement, la couleur) et nous leurs prêtons des pouvoirs (la capacité d’affecter – vraisemblablement par impulsion – les qualités apparentes d’autres amas de matière), mais cette description nominale n’est pas complète tant que  nous n’avons pas indiqué clairement qu’outre ces qualités et ces pouvoirs les corps ont aussi le pouvoir d’agir sur notre pensée et de se faire percevoir ou de produire de la douleur. Une des thèses de Locke est que toutes les qualités secondes tels la couleur sont en réalité au nombre de ces pouvoirs. Ces pouvoirs sont à la fois sensitivement manifestes, et en même temps inintelligibles, incompréhensibles au sens précis où 1) nous ne sommes pas capables de trouver une connexion nécessaire entre ces pouvoirs et les autres qualités que nous trouvons dans les corps, et 2) nous ne pourrions pas même la trouver si nous avions accès aux configurations corpusculaires qui constituent vraisemblablement la nature intérieure des corps. Dès lors, le simple fait que les corps soient perceptibles nous oblige « d’abandonner notre raison ». Nous devons nous contenter de constater la relation nomologique qui existe entre certaines qualités ou certains pouvoirs et certaines sensations, et dire simplement que la perceptibilité est une propriété annexée aux corps par une opération divine, ou si l’on veut une propriété « superaded », qui ne découle pas de la constitution intérieure des choses, qui a un caractère purement modal (tous les corps n’ont pas ce pouvoir puisque seuls les corps macroscopiques, ceux qui ont le pouvoir de susciter une impression matérielle dans nos organes, sont perceptibles), et qui reste pour nous incompréhensible. Ceci va constituer le nerf de l’argument en faveur du caractère nullement invraisemblable de la matière pensante. S’il faut admettre le fait incompréhensible que la matière est perceptible, alors rien n’interdit d’admettre que la matière est percevante.

« Quelle raison avons nous de conclure qu’Il ne pourrait pas ordonner que ces effets soient produits dans un sujet que nous ne saurions concevoir capable de produire, aussi bien que dans un sujet sur lequel nous ne saurions comprendre que le mouvement de la matière puisse opérer en aucune façon ». Il y a semble-t-il une égale inintelligibilité des deux côtés :

- soit on admet le dualisme cartésien et l’on doit admettre que Dieu a annexé aux corps (d’une manière qui nous restera à jamais incompréhensible) le pouvoir passif d’être perçu.

- soit on estime que toute substance dans le monde est matérielle et dans ce cas il faut admettre que Dieu a annexé à certaines d’entre elles (et d’une manière qui nous restera à jamais incompréhensible) le pouvoir actif de percevoir. Il faut noter que la thèse matérialiste est une thèse qui porte sur le substrat de la pensée, ce n’est pas une thèse réductionniste qui viserait à évacuer le caractère mental, extra-physique de la conscience (l’effet que cela fait d’être percevant).

Il y a plusieurs raisons qui me font penser que la seconde thèse avait la secrète préférence de Locke. Sa dangerosité (ou son hétérodoxie) est telle que Locke ne l’aurait sans doute pas avancée s’il n’avait voulu qu’illustrer les faiblesses de notre connaissance. Il est d’autre part convaincu que la thèse ne contredit pas les Ecritures, il suffit qu’une « conscience » puisse se maintenir et juger siennes les pensées passées pour préserver l’identité personnelle et éventuellement l’immortalité de l’âme : or Locke a montré que la conscience, si elle suppose bien un substrat n’engage rien quant à la nature de celui-ci. Enfin la thèse présente aux yeux de Locke certainement l’avantage de considérer une plus grande économie de la création (un seul type de substance), et de pourvoir toute chose existante d’une véritable spatialité laquelle semble être un requisit de l’existence (l’âme immatérielle est nulle part, son existence est beaucoup plus difficile à penser).

Je crois que lorsqu’on place l’ouvrage de Locke sous l’éclairage de l’hypothèse matérialiste, beaucoup de choses tendent à s’éclairer dans ce qu’il dit et dans ce qu’il fait. J’aimerais un jour pouvoir développer cela de manière générale, mais mon propos ici est simplement de montrer que l’indétermination métaphysique du propos lockien (qu’elle soit réelle, ou seulement feinte) est une source importante et inaperçue du conflit d’interprétation sur le statut des idées.

Rappelons tout d’abord, la thèse générale de Locke, en dehors de toute hypothèse métaphysique : l’idée de sensation est un certain effet que les corps ont sur ce qui constitue le substrat de la pensée – les deux interprétations adverses que nous avons présentées disent l’une (Yolton) que cet effet n’est autre chose que l’acte par lequel la pensée saisit l’objet matériel lui-même, lequel est le seul véritable contenu de la conscience ; l’autre que cet effet est un objet « mental » distinct de la chose qui l’a produit et qu’il est le seul contenu de la conscience perceptive, c’est donc un objet type sense-data (Aaron, Ayers). La question que nous devons nous poser est donc : y a-t-il une manière différente de se représenter « l’effet » sensoriel  dans chacune des deux perspectives métaphysiques ? La réponse, me semble-t-il est positive, car dans chaque cas le partage de lumière et d’ombre – (de ce qu’on comprend et de ce qu’on ne comprend pas) n’est pas le même.  Dans l’hypothèse « crypto-cartésienne », il y a une grande difficulté à penser l’efficience causale (comment un corps peut agir sur quelque chose qui est non corps) en revanche la « mentalité » de l’effet est plus immédiatement intelligible, car – si du moins on suit des normes d’intelligibilités cartésiennes – il existe une sorte de lien naturel entre immatérialité et pensée[10]. En d’autres termes cette thèse est plus aisément compatible avec une doctrine des sense-data qu’avec un réalisme direct (ce qui est clair et obscur en elle est homologue à ce qui est clair et obscur dans la doctrine des sense-data): l’accent porte sur la disjonction ou l’incommensurabilité du monde physique et du percevant et sur le caractère d’objet de conscience privé et extra-physique propre à l’idée. Dans l’hypothèse matérialiste en revanche il n’y a rien d’obscur dans la causalité, dans le fait qu’une substance matérielle (le corps) affecte par impulsion une autre substance matérielle (l’esprit). Ce qui en revanche est incompréhensible est que cet effet puisse avoir un caractère mental, et devenir l’objet d’une conscience. L’accent cette fois est mis sur le fait que l’acte de conscience (incompréhensible) est une propriété qui s’ajoute directement à une configuration relationnelle mondaine : celle qui unit le corps physique senti et le corps physique sentant. L’objet de cette conscience est donc bien, comme le veulent Yolton ou Alexander, le look ou la silhouette que les choses présentent sous le point de vue spécifié par la localisation dans l’espace du sujet percevant.

 Il me semble que certains éléments sur la conscience et l’identité personnelle présentés en II, 27, permettent d’appuyer et de préciser ce qui est en jeu dans la version « matérialiste » de l’analyse. Locke explique que ce qui fait l’identité d’un sujet conscient (une personne) ne peut être l’identité d’une même substance. Ceci ne signifie pas qu’il ne soit pas essentiel à la conscience d’avoir un substrat, mais plutôt que le substrat peut être changeant ou fluent, faire intervenir une ou plusieurs substances sans que l’identité de la conscience soit altérée. Par exemple Locke explique que ce qui identifie l’homme à un instant donné comme une entité corporelle distincte du reste du monde des corps est simplement la conscience qu’il peut avoir des parties de son corps comme siennes. Or le corps de l’être sentant est quelque chose de fondamentalement labile qui est dans une relation d’échange perpétuel avec le monde extérieur. Locke exlique que nous avons coutume de dire que les membres de notre corps font partie de nous même, et ceci dans le sens où nous prenons part et sommes intéressés par ce qui les touche. Toutefois qu’une main vienne à être coupée et elle n’est plus une partie de ce que nous appelons nous-mêmes. Ainsi la substance dans laquelle consistait le soi personnel en un temps peut être changée en un autre temps sans qu’il n’arrive aucun changement au sujet de conscience (ou personne) qui persiste identique à lui dans toute l’histoire de ce qui advient à son corps[11]. Les impressions sensorielles, me semble-t-il, font une grande partie de cette histoire du corps sentant. Locke, après Descartes et d’autres, estime qu’elles se font par voie d’impulsion et de contiguïté. Pour voir il faut en quelque façon être touché par des corps extérieurs. Dans ces moments, il me semble qu’on se trouve dans une situation analogue mais inverse au cas de la main coupée évoqué par Locke. Les corps extérieurs pour un temps deviennent partie prenante du corps sentant (nous sommes intéressés et touchés par eux) et la conscience que nous avons d’eux est analogue à la conscience proprioceptive des parties de notre corps. Dans l’instant où nous les percevons, nous les vivons comme les objets internes de notre conscience, et nous les sentons comme nous sentons le bout de nos doigts (la seule différence est qu’ils sont des objets plus passagers que nos doigt, et cela explique l’assignation d’extériorité) Je ne sais pas si une telle présentation des choses est complétement légitime, mais si elle l’est, elle tendrait à montrer ce que nous désignons dipositionnellement dans les corps comme puissance passive d’être perçue et dans le sujet sentant comme puissance active de percevoir,  peut aussi bien être décrit prédicativement comme une seule et unique qualité (la conscience ou conscienciosité) annexée à une seule et unique configuration matérielle qui englobe le corps sentant et le corps senti et permet de les traiter pour un instant donné comme un seul et même corps[12]. Cette qualité n’est évidemment pas déductible de la configuration corporelle mais lui est annexée par Dieu selon une loi de concommitance stricte. Une telle description allègerait considérablement un certain nombre de paradoxes rencontrés dans notre examen historiographique. Il n’y aurait pas deux pôles, l’un objet l’autre sujet qui serait instanciés dans des substances ontologiquement distinctes, et l’appropriation du corps par l’esprit qui est à l’œuvre dans la perception aquerrait une sorte de base ontologique stable: elle se penserait au niveau du substrat matériel comme la possible fluence d’une substance matérielle dans une autre, et au niveau de la conscience comme une disposition proprioceptive annexée à ce flux matériel en chacun de ses avatars temporels.

 

 

 


Ph. Hamou : Locke est-il l’inventeur des sense-data ?

Hand out

 

I. Introduction :

 

(1) Price : Perception, 2nd éd. Methuen London, p. 18 – 19 :

 

The term is meant to stand for something whose existence is indubitable (however fleeting), something from which all theories of perception ought to start, however much they may diverge later.

And I think that all past theories have in fact started with sense-data. The Ancients and the schoolmen called them sensible species. Locke and Berkeley called them ideas of sensation, Hume impressions, Kant Vorstellungen. In the nineteenth century they were usually known as sensations.

 

« The admission that there are sense-data is not a very large one ; it commit us to very little » (Price, p. 18)

 

 

(2) La définition minimaliste des sense-data :

1. les sense-data sont l’objet direct de la conscience perceptive

2. les sense-data sont des ‘hard data’

 

 

(3) La définition déterminée :

 

0. la définition minimaliste précédente

1. Les sense-data ne sont pas physiques

2. Leur occurrence est logiquement privée

3. Ils possèdent réellement les qualités sensibles ordinaires

4. Les sense-data imposent de penser la sensation selon la structure acte-objet, et ils constituent le pôle objet de cette structure. Ce ne sont pas par eux-mêmes des actes de visée (des actes intentionnels), ni des modalités « adverbiales » de cet acte.

5. Les sense-data ne peuvent être identifiés aux objets du monde extérieur auxquels ils nous semblent donner accès. Ceci exclut l'option théorique du réalisme direct au bénéfice soit d’une théorie représentative de la perception soit d’une théorie phénoménaliste.

 

(comparer à Howard Robinson, Perception, Routledge, coll. lThe Problems of Philosophy, London, 1994, p.1-2 et passim)

 

 

 

 

 

 

 

 

II. Locke. Le conflit d’interprétation :

 

(4) Eléments bibliographiques :

- Aaron : Locke, 1932

- J. Yolton : Locke and the Compass of human understanding

- id. : Perceptual Acquaintance from Descartes to Reid

- Alexander : Ideas, qualities and Corpuscules, 1981

- M. Ayer : Locke, epistemology and ontology,

- J. Lowe, Locke

 

(5) « The next thing to be consider’d, is how Bodies produce Ideas in us, and that is manifestly by impulse, the only way which we can conceive Bodies operate in ». Locke, Essay, II, 8, 11

 

(6) « I pretend not to teach but to enquire ; and therefore cannot but confess here again, That external and Internal Sensation, are the only passages that I can find, of Knowledge, to the Understanding. These alone as far as I can discover, are the Windows by which light is let into a dark Room. For, methinks, the Understanding is not much unlike a Closet wholly shut from light, with only some little openings left, to let in external visible Resemblances or Ideas, of things without ; would the Pictures coming into such a dark Room but stay there, and stay orderly as to be found upon occasion, it would very much resemble the Understanding of a Man, in reference to all Objects of sight, and the Ideas of them » II, 11,17 

 

(7) « ’Tis evident, the Mind knows not Things immediately, but only by the intervention of the Ideas it has of them » IV, 4, 3

 

(8) By those denominations, I mean some object in the mind, and consequently determined,, i.e. such as it is there seen and perceived to be. This I think may fitly be called a determinate or determin’d Idea, when such as it is at any time objectively in the Mind, and so determined there, it is annex’d and without variation determined to a name or articulate sound… (Epistle to the reader)

 

(9) « la perception d’un carré marque plus directement mon âme comme apercevant un carré, et l’idée de carré marque plus directement le carré en tant qu’il est objectivement dans mon esprit. Cette remarque, est très importante pour résoudre beaucoup de difficultés qui ne sont fondées que sur ce qu’on ne comprend pas assez que ce ne sont point deux entités différentes, mais une même modification de notre âme qui enferme essentiellement ces deux rapports, puisque je ne peux avoir de perception qui ne soit tout ensemble la perception de mon esprit comme apercevant et la perception de quelque chose comme aperçue » (Arnauld, Vraies et Fausses Idées, chap. V, déf. 6).

 

 

 

 

 


[1] Cf.

[2] Cf.

[3] Cf ; par exemple Bennet

[4] les sense-data ne sont pas sui generis mais doivent être pensés comme des effets d’une certaine causalité externe ; ces effets cependant sont pour ainsi dire aveugles (blank effects): et il n’y a rien d’intrinsèque aux sense-data qui permette d’en identifier la provenance, et par exemple de distinguer la perception réelle de l’hallucination (Ayer).

[5] Il y a une différence entre la manière dont l’idée est causée par l’impression et la manière dont l’impression est causée par l’objet. Dans le premier cas la relation est immédiate et obéit à une légalité d’institution: une même idée ne peut jamais être causée par deux impressions distinctes. Là encore le schème présentiste opère : l’esprit ou la conscience a une certaine localité, il est coprésent à l’espace cérébral où s’effectue l’impression, mais non pas à l’espace du monde extérieur et c’est la raison pour laquelle le lien des impressions avec les idées est plus immédiat et intime que celui qui unit ces idées aux choses extérieures.

[6] Descartes notae in Prog. Leibniz Nouveaux Essais

[7] Et il présente le premier terme « perception » comme désignant un acte avec lequel nous avons une familiarité native: aucun mot au monde ne pourra le faire comprendre à quelqu’un qui ne réfléchit pas sur ce qui se passe en lui lorsqu’il perçoit. (2.9.2) Le terme d’apparence a été traduit récemment par Vienne par manifestation. L’avantage de cette substitution est douteux car manifestation a un double sens en français : il peut signifier l’apparaître mais aussi le symptôme (comme lorsqu’on parle par exemple de manifestations allergiques)

 

[8] Cf. en particulier II, 32. Locke admet que même si parfois l’on peut se tromper dans le jugement que nous faisons de la conformité de nos idées simples avec celles qui se trouvent dans l’esprit d’autres hommes, il affirme que l’examen de l’usage du langage permettrra de corriger cette erreur. A ce point toutefois, il reconnaît que les idées que deux hommes ont par exemple de la couleur verte soient différentes à leur insu, mais il suggère que 1) cela importe peu pour notre connaissance des choses 2) cela est peu vraisemblable pour des raisons que Locke ne veut pas mentionner à ce point.

[9] Cf. Introduction, §2.

[10] NB : Locke contestera ce point dans sa polémique avec Stilingfleet (citée par Coste dans sa note, p. 442), disant que même cela est incompréhensible. (« pouvez vous concevoir comment votre propre âme ou aucune substance pense ? » ).

[11] « Qu’il en soit ainsi, nous en avons une espèce de démonstration dans notre propre corps, dont toutes les particules font partie de nous mêmes, c’est-à-dire de cet être pensant qui se reconnaît intérieurement le même, tandis que ces particules sont vitalement unies à ce même soi pensant, de sorte que nous sentons le bien et le mal qui leur arrive par l’attouchement ou par quelque autre voie que ce soit. Ainsi les membres du corps de chaque homme sont une partie de lui-même : il prend part et est intéressé à ce qui les touche. Mais qu’une main vienne à être coupée et par là séparée des sentiments que nous avions du chaud, du froid et des autres affections de cette main, dès ce moment, elle n’est non plus une partie de ce que nous appelons nous mêmes que la partie de matière qui est la plus éloignée de nous. Ainsi nous voyons que la substance dans laquelle consistait le soi personnel dans un temps, peut être changée dans un autre temps, sans qu’il arrive aucun changement à l’identité personnelle »II, 27, 11

 

[12] On peut noter que Locke dans l’introduction de son chapitre sur les pouvoirs pointe en direction de cette réduction du dispositionnel ou relationnel à la qualité simple.